« Le mariage est un chemin de sainteté »
(Père Caffarel)
Le foyer apôtre
S’unir, ce n’est pas seulement, pour deux chrétiens, s’engager l’un vis-à-vis de l’autre, c’est aussi s’engager ensemble vis-à-vis de l’Église. En effet, par le mariage, le couple chrétien prend sa place dans l’Église et s’y trouve comme investi d’une charge publique. C’est bien ce que Pie XII, dans Mystici Corporis, veut faire entendre : « Le Christ a pourvu d’une manière particulière aux nécessités organiques de l’Église par l’institution de deux sacrements : le mariage et l’ordre. » Quelle est la mission du couple chrétien dans l’Église ? Tel est le sujet de cette conférence. Par le sacrement de mariage, le couple, en tant que tel, en tant qu’il est un tout, est incorporé au Corps du Christ. Deux mots peuvent aider à entrer dans l’intelligence de ce Mystère : ceux de « cellule » et « d’organe ». Le foyer est « Cellule d’Église», disait Jean XXIII, en 1959, aux mille foyers pèlerins des Équipes Notre-Dame. Cette expression a l’avantage de bien souligner que le « foyer-cellule » vit de la vie même du Corps tout entier. De même que l’âme est toute présente en chaque cellule du corps, de même se retrouvent, s’actualisent en chaque couple chrétien, le mystère et la vie de tout le Corps Mystique …/…
Proclamer l’amour divin
Faire connaître Dieu, proclamer son amour, tel est le premier aspect de la mission apostolique du couple. L’auteur se révèle toujours dans son œuvre : la sonate du musicien, le tableau du peintre nous donnent accès à la vie intérieure de l’artiste. De même, dans l’immense création, toute créature parle de Dieu : le ciel étoilé, de son immensité ; un clair regard d’enfant, de sa pureté ; l’amour d’un homme pour ses fils, de sa paternité. Cette grande réalité humaine qu’est le couple, que révèle-t-elle de Dieu ? Que Dieu n’est pas, comme le prétendait monsieur François-René de Chateaubriand, « l’éternel célibataire des mondes », mais bien une communauté de personnes qui s’entr’aiment : le Père et son Verbe dans l’unité de l’Esprit. Homme et femme, unis dans l’amour, sont la vivante parabole de la communauté divine. C’est à eux aussi, à eux d’abord, que s’adresse la parole du Christ : « Soyez un comme mon Père et moi sommes un » ; soyez deux qui se donnent l’un à l’autre pour se donner ensemble à ce troisième qu’est l’enfant, votre amour incarné, personnifié ; ainsi vous serez comme un miroir où se reflètera la vie trinitaire. Ces deux en un que sont l’homme et la femme mariés évoquent aussi les deux en un seul Corps Mystique que sont le Christ et l’Église. L’alliance de l’homme et de la femme est, devrait être, l’image, « l’épiphanie » de l’union du Christ et de l’Église. Ainsi faut-il dire que le premier aspect de la mission apostolique du mariage est de faire entrevoir aux hommes le mystère intime de la famille trinitaire, ainsi que cet autre mystère issu du premier : l’union de la divinité et de l’humanité, du Christ et de l’Église, union infrangible et féconde qui ne cesse d’engendrer des enfants de Dieu. De même que s’il n’y avait pas de pères de famille, cela ne signifierait rien pour nous d’apprendre que Dieu est notre Père ; de même, s’il n’y avait pas la féconde union d’amour de l’homme et de la femme, l’intimité d’amour des personnes divines et l’union du Christ et de l’Église seraient pour nous inintelligibles. Ainsi Dieu compte sur vous, les mariés, pour que les hommes puissent entrevoir les trois grands mystères : Trinité, Incarnation, Rédemption. C’est là le premier aspect de la mission apostolique du couple. Et c’est par le fait même le plus noble motif que vous puissiez avoir de vous aimer, d’être unis, d’être féconds. Mais il est d’autres façons de coopérer à l’œuvre de Dieu.
Sanctification réciproque
C’est d’abord auprès de votre conjoint que Dieu vous veut son coopérateur. Rappelez-vous ce que Pie XI écrivait dans Casti Connubii : « Cette mutuelle formation intérieure des époux, cette application assidue à travailler à leur perfection réciproque, est la raison première du mariage si l’on ne considère pas strictement dans le mariage l’institution destinée à la procréation. » Ce n’est donc pas un luxe, l’heureuse initiative d’un jeune ménage édifiant, que cette prise en charge spirituelle des époux l’un par l’autre. C’est une mission, une mission divine. Par le sacrement de mariage, vous vous constituez responsable de la sanctification de votre conjoint, à l’exemple du Christ s’incarnant et se constituant responsable du salut de l’humanité …/…
Coopérer avec le Christ à la sanctification de votre conjoint est essentiel à votre mission apostolique. « Tu m’es, dit le Seigneur à chacun de vous, un envoyé, un témoin, un coopérateur indispensable pour la sanctification de ton conjoint. Il est vrai que je travaille de bien des façons à en faire un saint : sous la forme du pain eucharistique, je nourris sa vie chrétienne ; sous la forme du prêtre, je lui pardonne quand il ploie sous le péché ; mais sous la forme la plus émouvante, celle d’une épouse tendre, empressée, d’un mari attentif, prévenant, amoureux, je veux être auprès de lui jour et nuit, et lui révéler mon
amour, et me l’attacher plus étroitement. » …/…
Apostolat au foyer
Si chaque époux est chargé de mission auprès de son conjoint, les deux époux ensemble, en tant qu’ils ne font qu’un, sont chargés de mission auprès des autres, et d’abord auprès de leurs enfants …/…
Votre première manière de contribuer à la sanctification de vos enfants, c’est de les aimer avec grande tendresse, de les vouloir épanouis et de travailler à cet épanouissement, …/…
et de leur transmettre la Parole de Dieu …/…
Mais, vous le savez bien, votre mission apostolique ne se limite pas à vos seuls enfants. Il est autour de vous des êtres qui attendent votre témoignage : qu’allez-vous faire pour eux ? …/…
Vos richesses sont de deux ordres : richesses humaines et richesses de grâce. Richesses humaines, d’abord. La première, source de toutes les autres et la plus précieuse : votre amour conjugal — encore faut-il qu’il soit vivant. Comme le disait l’un d’entre vous, dans sa réponse à une enquête menée auprès des Equipes : « Un foyer apôtre doit être un foyer amoureux. Seul moyen de faire envie ». Votre amour conjugal fructifie en amours variées : l’amour paternel et la tendresse maternelle, l’amour filial et l’amour fraternel, autant d’amours qui font du foyer chrétien un lieu unique au monde. Et que d’aspects divers et attachants présente le foyer, suivant les heures et les événements : repas et veillées, jours de labeur et jours de fête, heures douloureuses, heures chantantes …/…
Le foyer chrétien ne se contente pas d’offrir ses richesses humaines, de faire entrevoir au travers d’elles des vérités capitales : il dispense à ses hôtes les richesses de grâce dont il vit. Sa grande richesse spirituelle est la présence du Christ, qui fait de cette communauté familiale une « petite église », selon l’expression de saint Jean Chrysostome. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu
d’eux », dit le Seigneur ; et Tertullien de commenter : « Quand deux sont ensemble, il y a l’Église » …/…
Ainsi le couple chrétien et la famille nous apparaissent comme exerçant entre le monde et l’Église hiérarchique, par leur apostolat d’accueil, une « fonction de médiation ». C’est là un bien grand mot ; pourtant, après tout ce que je viens de vous dire, n’est-ce pas celui qui convient le mieux ?
Apostolat hors du foyer
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Cette charité, cette « communion dans la charité » que le Christ opère au foyer, il s’agit que celui-ci la rayonne, qu’il soit ouvrier d’unité là où il vit, qu’il instaure cette communion dans les milieux où
il est placé providentiellement. Très souvent son effort pour faire de l’unité s’exercera sur un plan simplement humain ; mais qu’il sache bien que cette unité humaine est déjà l’amorce d’une unité plus haute …/…
Mais l’apostolat n’est pas seulement un témoignage et un rayonnement, c’est aussi une tâche. Il est des activités apostoliques que mari et femme peuvent entreprendre et poursuivre ensemble. Certaines même exigent qu’ils s’y consacrent à deux : formation des fiancés, accueil aux catéchumènes, aide aux jeunes foyers, secours aux foyers désunis…Je m’en voudrais de ne pas parler ici de ces foyers qui partent dans les nouvelles chrétientés, aux côtés des missionnaires. Là, plus qu’ailleurs, il faut, selon les paroles de Jean XXIII aux pèlerins des Équipes Notre-Dame, que les foyers chrétiens, par leur vie, proclament, illustrent, mettent à la portée de tous ce que les prêtres enseignent par la parole, et notamment les grandeurs et les exigences du mariage chrétien …/…
Il va sans dire qu’une telle vocation n’est pas celle de tous les foyers, que bien souvent même, mari et femme ne peuvent exercer ensemble l’apostolat. Déjà pour la bonne raison qu’ils ne passent pas leur journée dans le même milieu. Qu’importe ! L’essentiel n’est pas qu’ils soient toujours physiquement, mais moralement ensemble. J’aime à me rappeler un vieux souvenir : Un jour, dans le métro, deux ouvriers parlaient derrière moi d’un camarade. L’un d’eux dit : « Oh ! Mon vieux, ça se voit, c’est un type heureux en ménage. » N’est-ce pas cela, en effet, qui importe : que chacun se rende à ses tâches porteur des richesses de son foyer ? « La façon dont chaque époux, à l’extérieur, parle de son conjoint, du mariage, écrivait l’un de vous, peut être à elle seule un apostolat. »
Ce que saint Paul disait du foyer d’Aquila et Priscille : « mes auxiliaires dans l’apostolat », il faut que le Christ puisse le dire de tout couple chrétien.
(Extraits d’une conférence du père Caffarel apparus dans une édition spéciale de “ l’Anneau d’Or “, Mai-Août 1962